Dessins de presse, Bds, illustrations et autres galéjades
3 Mai 2024
J’ai créé ce petit montage vidéo (ci-dessus en en-tête) avec des images tournées comme j’ai pu il y a 9 ans, à peu prés à la même époque , peut-être un peu plus tôt vers la fin de l’hiver, ma mémoire n’étant plus ce qu’elle était.
Il y a 9 ans, à peu prés à la même époque, j’accusais de perdre un de mes deux principaux amis, Charb que je n’avais de cesse de faire chier avec mes périodes de doutes et qui seul savait me remettre en selle.
Je devais gérer l’après attentat à Charlie-Hebdo du 07 janvier doublé 3 jours plus tard d’un divorce après 18 ans de mariage avec une femme dont j'étais toujours autant amoureux, de ma fille malade et déprimée qui commençait sans explication à vomir du sang, d’un long coup de fil impromptu d’une dessinatrice (que je connaissais fort peu dans la rédac de Charlie) m’expliquant en long et en large pourquoi je n’était qu’une merde et combien tout ce que je faisais était tellement de la merde qu’avec ses « potes » ça les faisait marrer, d’un problème de tension qui faisait du yo-yo, d’insomnies persistantes , de tremblement des mains qui m’empêchaient de bosser correctement et donc de gros problèmes financiers dans lesquels j’aurais pu sombrer sans l’aide du syndicat des journalistes CGT que je n’oublierai jamais.
Ce métier moi je l’avais voulu et décidé depuis l’âge de 8 ans, pondre du pépère à gros nez pour amuser le lecteur, prendre en même temps du plaisir à dessiner tout en se faisant rire et faire rire les autres penché sur mon antique table à dessins qui me suit toujours depuis que j’ai pu me la payer à mes 16 ans et que je n’échangerais pour aucune de plus moderne et moins encombrante.
J’avais une chienne d’impression d’avoir tout perdu, mes amis, ma famille, mes projets, mon enthousiasme, …
Déjà je devinais à "Charlie" comme une sorte d’ambiance qui me faisait me sentir franchement pas le bienvenu au milieu de certain(e)s ("tu sais, Babouse, tu peux rester chez toi pour dessiner!"), sentiment accentué par une authentique hypersensibilité pourtant soigné depuis l’adolescence (maintenant, plus précisément, on appelle ça « HPI » mais dans les fait ça n’a, en tous cas en ce qui me concerne, rien ni d’agréable, ni de fun, c’est dire si j’exècre la série qui porte le nom de cette pathologie dont de plus en plus se revendiquent joyeusement, c'est tendance!).
Ce qui finira par aboutir, jamais à ce moment là je n’aurais pu l’envisager, à un prud’hommes pour licenciement sans motif réel (pour licencier un pigiste, rien de plus simple: il suffit de ne plus publier sa production) qui fera dire, en 2018, le seul semblant de motif à l’avocate de la rédaction : « Monsieur Monier (Babouse) n’était pas présent à la rédaction le 07 janvier 2015 » (pour info, j’avais prévenu Charb de mon absence dés le 05 janvier 2015 qui m’avait donné son accord pour assurer un rendez-vous médical important déplacé à la dernière minute. Est-il réellement nécessaire de préciser que ce sera toujours mon plus gros regret?).
C'est dans ces moments là que l'on compte ses vrai(e)s ami(e)s . Je me suis vite aperçu qu'il n'y en avait pas bézef...
Seul, isolé dans ma cambrousse, mon no man's land, les nuits passées à gamberger sous Xanax je me remémorais les bons instants de ma vie passée à jamais détruite, ce qu’on peut-être maso parfois sans le vouloir, le cerveau refusant obstinément de se mettre en pause pour plonger dans le sommeil (ce qui va à l’encontre de toute forme d’obligation légale de pause syndicale, le pleutre!).
Epuisé, paumé, au milieu d’une énième nuit blanche je tentais de me calmer en me remémorant les moments où j’étais bien, au calme, émerveillé, me repassant entre les neurones les films des jours les plus heureux et ainsi notamment ceux passés dans le coin que j’aime le plus au monde tous pays confondus: l’Ardèche.
Sans même me précipiter ce soir là, je me levais, m’habillais, pris quelques affaires, mes clefs, une grosse couette, un oreiller, enfournais le tout dans ma bagnole et fonçais en pleine nuit vers les montagnes ardéchoises sans trop avoir d’autres projets plus aboutis que ça.
Je passais ma première nuit du côté d’Antraigues-sur-Volane, dans la montagne de Jean Ferrat, grelotant sous ma couette mais heureux d’être là malgré le dégel à peine amorcé et le vent froid du coin , la Burle, qui n’en finissait pas.
Je filmais ces paysages qui me semblaient si heureusement éloignés de toutes la crasse des dernières semaines, la neige à peine fondue et les beautés de la Volane aux berges de stalactites de glace puis redémarrais vers le sud à la recherche de la rivière Ardèche en crue.
En voyage, Charb aimait enregistrer des sons, foule, manif, ambiance de marché, flippers, caquétements de poules... moi ça a toujours plutôt été des images et des bouts de vidéos.
Refusant de me recailler les miches à l’étroit avec deux chiens qui pètent et ronflent en continu dans un espace exigu , je louais une chambre dans un minuscule hôtel au patron accueillant vers Saint-Martin-d’Ardèche puis, les yeux et l’esprit un peu mieux lavés, remontais vers mon Pas-de-Calais natal et ma boîte aux lettres où m’attendaient quelques fraternels courriers anonymes m’intimant « va crever ailleurs » et autres « vous n’avez rien à faire ici » (dixit), le gente villageoise n’appréciant guère la présence encore très remarquable de la maréchaussée prête pour un éventuel nouveau grain ( comme il aura été dit alors à ma fille de 9 ans par des parents d’élèves du coin: « ton père a foutu la merde dans le village » ou encore « il ne faudrait pas que les terroristes se trompent de maison », ce qui explique pourquoi une bonne âme aura été jusqu’à repasser au feutre le numéro un peu effacé de ma chaumière sur mon pignon).
Quelques jours après mon retour, je regardais les rush de ce que j’avais filmé tout en écoutant l’artiste dont la musique m’avait accompagné dans l’autoradio pendant ces quelques 60 heures de fuite salvatrice, Hubert-Féix Thiéfaine.
Aussi loin que je me souvienne, c’est l’artiste que j’écoute le plus. On échange aussi, parfois à l’ancienne, avec des lettres écrites avec des mains pleine de doigts et un timbre sur une enveloppe.
Les paroles de plus d’une de ces chansons résonnaient âprement en moi (« Petit Matin 4.10 heure d’été ») mais face au Pont d’Arc debout dans sa crue c’est « En remontant le fleuve » qui avait explosé ma chair de poule en dressant aux cieux le moindre centimètre carré de ma pilosité.
Bref, un autre soir, je troquais mon insomnie pour bidouiller ce petit montage vidéo tentant de concentrer ce que j’avais vu, vécu, su, espéré en fondant images, sons, et paroles.
C’était il y a 9 ans.
Après quelques hospitalisations ma fille va mieux.
Mes insomnies se sont peu à peu transformées en long coma cauchemardesque avec absence de sommeil profond ( d’où de sévères pertes de mémoires) mais mes mains ne tremblent plus que très rarement et ma tension semble stabilisée.
Au village que je ne n’ai pas quitté, les autochtones sont toujours aussi compréhensifs et amicaux d’autant que, vivant désormais seul avec mes chiens sans trop voir « du monde », comme qui dirait que « ça jase » ( dernier cadeau en date: une tête de lapin coupée devant ma porte).
Je continue mon boulot sur mon antique table dessins à boulons, slalome entre les portes désormais fermées de certaines rédactions( les désormais nouveaux maîtres de « Charlie » aiment apparemment autant que mes chers villageois à colporter quelques joyeux ragots), partage parfois un café avec un ou deux gendarmes de bonne composition et tente de continuer à prendre du plaisir à dessiner et partager.
Récemment, face à un nouveau flot de menaces et d’injures, sur conseil des instances compétentes, j’ai du me retirer de tout réseau social.
Dans un monde où dans ma branche il faut assurer à la fois le travail, sa mise en valeur et sa promotion, c’était un peu se tirer une balle dans le pied mais au moins j’ai la paix et c’est tout de même moins définitif qu'une balle dans la tronche.
Quand même, je ne sais pas si il est absurde, stupide ou dégueulasse mais a minima il est quand même vachement bizarrement foutu ce monde.